L’écrivain et metteur en scène haïtien Jean-René Lemoine, a écrit ce texte sur Michèle Pierre-Louis suite à son récent passage à Port-au-Prince le 28 juin dernier.
Haïti est arrivé aujourd’hui à un moment décisif et crucial, le moment du changement. C’est un instant unique, qu’il faut absolument saisir car Dieu sait quand il se représentera.
Qui peut, mieux que Michèle Pierre-Louis, incarner ce changement ? Qui d’autre pourrait embrasser l’ampleur de la tâche et s’y plonger avec passion, abnégation et courage ? Qui pourrait mieux qu’elle catalyser l’immense énergie et l’incroyable potentiel que ce pays recèle ?
De toute évidence, cette femme dérange certains. On sait que les insultes ne déshonorent que ceux qui les déversent et qu’il est vain de leur donner écho. Ce que je lis profondément, au-delà des polémiques mesquines, des manœuvres ridiculement procédurières et des paroles aussi dégradantes que vaines, c’est précisément qu’elles sont le baromètre inversé d’un vrai désir. Celui de tous ceux qui savent le cadeau que cette femme nous fait en acceptant la tâche qu’on lui propose aujourd’hui . Tout grand talent suscite une panique chez ceux qui en sont dénués et toujours les calomniateurs ont été, à leur corps défendant, les révélateurs des grands individus et des grandes causes.
Je suis un visiteur épisodique de ce pays et le nomadisme dans lequel je me suis installé me permet de voir, à chaque retour, à quel point cette terre où je suis né glisse, s’enfonce, s’effondre, dans tous les sens du terme. Et pourtant, au plus profond du marécage, ce qui me frappe dans les regards, dans les corps, dans les comportements des hommes et des femmes d’ici, c’est la dignité, la verticalité, le courage. Il est peu d’endroits sur la planète où des êtres humains confrontés à de telles vicissitudes au quotidien gardent encore de profonds repères qui sont le signe d’une résistance et d’une vitalité sans pareilles.
C’est vrai qu’Haïti est en dehors de tout, c’est vrai aussi qu’Haïti échappe à tout. Mais ne s’agit-il pas maintenant de transformer cette singularité, de sortir du carcan du paria et de s’autoriser à nouveau à être l’exemple ? Tout cela peut paraître utopique, mais les grandes causes se structurent à partir de grandes utopies.
Il s’agit donc bien d’une grande cause : amorcer le changement, faire sortir le pays du marasme et de l’ornière, redonner du sens et de la vie aux choses, de l’espoir aux gens, leur réapprendre l’autonomie, le sens civique et leur faire toucher du doigt ce qu’est une nation, à la fois dans la préoccupation et dans l’oubli d’eux-mêmes.
J’ai pu observer Michèle Pierre-Louis dans le travail titanesque et patient qu’elle a accompli à la Fokal depuis plusieurs années. J’ai pu voir avec quelle intelligence, quelle sagacité, quel respect pour ses interlocuteurs et collaborateurs, elle mène à bon port ses projets, quelles que soient les difficultés qu’ils rencontrent. En tant qu’artiste j’ai été accueilli par elle et j’ai compris ce que voulait dire accueillir : aller à la rencontre de l’autre en respectant son altérité. Michèle ne m’a jamais rien imposé, elle a toujours été l’observatrice attentive de mes doutes et elle m’a fait comprendre que j’avais moi aussi, tout nomade que j’étais, une place dans ce pays. Elle m’a fait comprendre que le travail théâtral que je menais était moins éphémère et moins vain que je voulais le croire et que cet artisanat pouvait, lui aussi, changer les choses ici. Sans avoir besoin de théoriser, nous nous sommes contentés de travailler main dans la main et si j’avais parfois le sentiment délicieux de la guider dans mon dédale, le plus souvent c’était elle l’éclaireur qui me tendait le fil d’Ariane, m’apprenant à aimer un pays qu’on pourrait, par mégarde, si facilement haïr. Michèle sait que la parole poétique produit du sens et de l’espoir, elle sait aussi inventer un espace « écologique » comme celui qu’elle tisse à Martissant pour permettre à un quartier de retrouver sa respiration. Elle sait qu’on ne vit pas seulement de pain. Et j’imagine combien de contradicteurs elle a déjà dû rencontrer tout au long de tous les autres projets dont la cohérence saute aux yeux quand on les met en perspective. Michèle Pierre-Louis sait amorcer et conduire le changement.
Le projet qu’elle embrasse maintenant est différent par son ampleur, par sa vastitude, mais finalement il est le même. Elle possède toutes les qualités pour affronter la grande cause, celle de donner du sens à un pays. Elle déploiera pour ce faire les mêmes qualités, la même persévérance, la même intelligence. Les difficultés sont immenses, on le sait. Mais le fait qu’elle soit désignée comme Premier ministre signifie que le changement est déjà amorcé. La chance est là. Il faut juste ne pas la laisser passer. L’Afrique du Sud, au plus profond de ses tourments, a su entendre la voix de Nelson
Thursday, July 3, 2008
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